LA RIGOLE D'HILVERN
Le dimanche 3 novembre malgré une météo peu engageante ,nous sommes nombreux à suivre Annick notre guide pour cette nouvelle balade.
LE CANAL DE NANTES A BREST
Pour la construction de ses écluses, ses déversoirs et ses débarcadères, il a fallu autant de pierres taillées que pour la pyramide de Kéops ! Édifié au XIXe siècle après bien des vicissitudes, le canal de Nantes à Brest traverse la Bretagne d’est en ouest sur plus de trois cents kilomètres. Les projets de canaux en Bretagne remontent aux XVIe et XVIIe siècles. En 1627, les États de Bretagne approuvent ainsi un projet de canalisation de l’Aulne, entre la rade de Brest et Carhaix mais, faute de financements, ces travaux ne seront jamais menés à bien. En 1746, François-Joseph de Kersauson rédige un Mémoire sur la canalisation de la province pour les États de Bretagne où il projette des jonctions entre différentes rivières, comme de la Rance à la Vilaine ou de l’Oust au Blavet. En janvier 1783, une commission de navigation intérieure est formée pour lancer des études préliminaires. Les rapports, les études et les projets se multiplient, avec parfois des chantiers financés, comme lors de la mise en navigabilité de la Vilaine près de Redon, entre 1784 et 1789..
Un canal stratégique En 1803, le projet d’un grand canal reliant l’ouest et l’est de la péninsule redevient d’actualité avec la reprise des hostilités avec la Grande-Bretagne. Celle-ci domine en effet les mers et bloque l’accès aux ports bretons. Par ailleurs, les transports par terre sont lents et difficiles. Or, les liaisons entre les ports militaires et les arsenaux de Saint-Malo, Nantes, Lorient et Brest sont stratégiques. La voie fluviale est donc considérée comme la seule solution pour contourner le blocus britannique. Le 28 ventôse, an XII (1804), le directeur des Ponts et Chaussée informe le préfet des Côtes-du-Nord qu’il vient de charger l’ingénieur Boessel « d’étudier la possibilité et les moyens d’établir une navigation intérieure entre Nantes et Brest ». La tâche n’a rien d’aisée. Il s’agit d’abord de remonter l’Erdre puis la Vilaine jusqu’à Redon. La deuxième section, entre Redon et Pontivy doit emprunter l’Oust puis redescendre par le Blavet. La troisième section doit permettre de remonter le Blavet jusqu’à Goarec. Ensuite, Boessel doit « visiter la chaîne de montagnes qui sépare le bassin du Blavet de celui de l’Hyères, pour reconnaître et indiquer le point de passage qui réunira l’avantage d’exiger le moins de travaux et celui de pouvoir être plus facilement alimenté par les eaux supérieures. » Les navires redescendront ensuite par l’Aulne jusqu’à la rade de Brest.
joindre l'utile à l'agréable...
Histoire : une rigole pour alimenter le canal de Nantes à Brest
1824-1838. Il aura fallu près de 15 ans pour creuser et aménager la rigole d’ Hilvern, entièrement artificielle. L’ouvrage hydraulique contribue alors au bon fonctionnement du réseau breton de voies navigables, destiné à faciliter le transport des marchandises.
Le contexte historique
À la fin du XVIIIe siècle, la Bretagne compte peu de moyens de communication. Les villes et les villages sont principalement reliés par des chemins de terre, souvent mal entretenus ou impraticables. Ils entravent la circulation des marchandises. Conscients de la situation, les États de Bretagne décident, en 1783, de constituer un réseau de voies navigables destiné au transport de marchandises. Ils imaginent des canaux reliant les principales rivières de la province. La Révolution suspend les travaux mais Napoléon 1 er reprendra le projet pour échapper aux contraintes du blocus continental imposé par l’Angleterre. Il engage la réalisation du canal de Nantes à Brest.
Comment ça marche ? Le canal emprunte le cours des rivières naturelles et, là où ce n’est pas possible, il est creusé à la force des bras. C’est notamment le cas entre Pontivy et Rohan (56), où il s’agit de relier deux rivières parallèles, l’Oust et le Blavet. Comme il est situé en un point géographiquement haut, le canal nécessite, pour fonctionner, la construction d’une série d’écluses et de biefs, ainsi qu’un apport important en eau. Cette eau est fournie grâce à la construction d’une retenue d’eau en amont de l’Oust, à Allineuc (22) : c’est le barrage de Bosméléac (3 millions de m3 d’eau). Pour permettre d’acheminer l’eau du barrage au canal de Nantes à Brest, la rigole d’Hilvern est construite. Son parcours suit les nombreuses courbes du relief, de sorte que l’eau s’écoule doucement du nord vers le sud sur une pente constante de 27 mm par 1000 mètre.
Le saviez-vous ? À plusieurs reprises, le tracé de la rigole traverse de petits cours d’eau, ruisseaux ou affluents naturels des rivières. Afin de ne pas perturber leur débit, de nombreux ouvrages d’art ont été créés : ponts, aqueducs, madriers croisés (canalisations en bois). Ils maintiennent la continuité des cours d’eau, tout en permet-tant l’arrosage des prairies.
La construction de la rigole engendre un véritable bouleversement économique pour les riverains. Elle compense le déclin du commerce des toiles, mais entrave les activités de certains corps de métiers.
Une opportunité pour certains Alors que le commerce des toiles de lin, principale activité économique du pays, décline en ce début du XIXe siècle, les chantiers du barrage de Bosméléac et de la rigole offrent du travail à une population en difficulté. On y retrouve de nombreux paysans, tisserands, filandières, blanchisseurs et marchands de toiles de la région.
Un manque à gagner pour d’autres Le bonheur des uns fait le malheur des autres... La construction de la rigole afflige meuniers et paysans, contraints de délaisser leurs terres ou de réduire leur activité. Le 9 juin 1824, l’ingénieur Lenglier annonce la mise en chômage des moulins : “Nous devons faire les jauges des eaux qui pourraient être amenées au bief de partage d’Hilvern...Nous devons mettre les moulins en chommage continu pendant une huitaine de jours et indemniser gré à gré les meuniers...” Le 6 février 1835, les fermiers et riverains des villages de Kerdrain et Médroux demandent dommages et réparations : “Cette rigole est presque partout creusée. Il nous est impossible de cultiver, ensemencer et faire paître un grand nombre de pièces de terre puisqu’il n ’y a aucun chemin d’accès... in ’y a point de ponts, les ingénieurs n’ont pas jugé à propos d’en établir...”
Le saviez-vous ? Le chantier de construction de la rigole est divisé en cinq lots, dont quatre dans les Côtes d’Armor : - 1er lot : du moulin de Bélaître à Bizoin - 2e lot : de Bizoin à Saint-Guen - 3e lot : de Saint-Guen à Saint-Caradec 4e lot : de Saint-Caradec à la limite du Morbihan
La Sibérie de la Bretagne Extérieurs à la Bretagne, les ingénieurs ne sont en général guère sensibles aux charmes du centre de la péninsule. Certains en font des descriptions horrifiées. Ainsi, un rapport de la commission des Côtes-du-Nord des Ponts-et-Chaussées du 24 janvier 1829 explique que « lorsque pour la première fois, les ingénieurs se rendirent à Glomel pour préparer les travaux, ils s’accordèrent à y reconnaître la Sibérie de la Bretagne, des mœurs sauvages comme le pays, des chemins impraticables, les maisons du bourg obstrués par des fumiers infects. Pas un toit pour les mettre à l’abri de l’injure du temps, pas un objet de plus que la commune nécessité. » Les travaux engagés sont considérables en raison notamment du relief. On compte parfois jusqu’à dix écluses au kilomètre entre Pontivy et Carhaix. Chaque écluse nécessite près de deux mille mètres cubes de pierres de gros appareil, en partie taillées. L’aménagement des biefs exige également des terrassements importants et des travaux soignés pour éviter les tassements ou les fuites d’eau. Il faut également prévoir des rigoles de ceinture, qu’il faut creuser le long du bief pour récupérer les eaux latérales. Prévu à l’origine pour une somme de quatre millions de francs, le percement du canal de Nantes à Brest en coûtera dix fois plus. Il est vrai que les travaux sont interrompus en 1814 et qu’ils ne reprennent qu’en 1822 pour s’achever une vingtaine d’années plus tard.
Concurrence et fermeture D’autres ouvrages d’art, comme la digue-barrage du Corong, forcent l’admiration. Après bien des aléas et des exploits techniques, la mise en eau du canal est prévue le 1er janvier 1842. Mais les réparations et les finitions seront régulières. Ainsi, dès 1858, il a fallu procéder au remplacement des portes d’écluses. Imaginé au moment de la guerre avec la Grande-Bretagne, le canal sera donc achevé en temps de paix et ne sera guère utilisé par les militaires. De plus, il ne servira relativement que peu aux échanges entre les deux extrémités de la péninsule, mais sera surtout utilisé pour le trafic local. Le canal de Nantes à Brest a cependant contribué au développement économique du centre Bretagne en permettant, par exemple, d’amener des amendements agricoles depuis la rade de Brest jusqu’au Poher. Très vite, la batellerie bretonne va être confrontée à une redoutable concurrence, le chemin de fer même si ce dernier n’arrive à la pointe Bretagne que dans les années 1860, après de nombreux débats. Ainsi, alors qu’en 1842 est discutée une première loi pour la construction d’un réseau ferré français partant de Paris, avec notamment une ligne vers Nantes, via Tours, le député breton Glais-Bizoin dépose un amendement pour une ligne « sur l’Océan, par Versailles, Rennes et Brest ». Il doit faire face au rapporteur de la loi, Jules Dufaure, qui estime que les Bretons doivent se contenter des routes royales et des canaux : « On a creusé au fond de la Bretagne, explique-t-il, et pour mettre la Bretagne en communication avec sa capitale, qui est Nantes ».
Coupé en 1930 Malgré la concurrence du rail, puis de la route, le canal est toujours utilisé au début du XXe siècle. En 1920, l’État concède à l’union hydro-électrique armoricaine la partie du canal entre Guerlédan et Bon-Repos afin d’y édifier un barrage et d’y produire de l’électricité. Long d’une quarantaine de mètres de hauteur, il sera édifié à Guerlédan et mis en service en 1930. La concession imposait à l’entreprise le rétablissement de la navigation soit par un ascenseur à bateau, soit par un escalier d’écluses, clause qui ne sera jamais respectée. La liaison entre Nantes et Brest est alors coupée, ce qui accélère le déclin de la batellerie. Il faut attendre les années 1980 pour que cette majestueuse voie d’eau soit redécouverte. Désormais, ce sont les randonneurs et les pêcheurs qui en fréquentent les berges, faisant du canal de Nantes à Brest l’une des grandes attractions touristiques de la Bretagne.